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26/09/2010

Lu pour vous : Pour l'islam de France, Hassan Chalghoumi

 

L’imam Chalghoumi est-il réformateur ou rénovateur ? La question pourrait peut-être diviser d’éminents spécialistes. A la lecture de son livre, c’est un débat qui s’ouvre.

Très attendu et couvert de louanges, Pour l’islam de France, profession de foi de l’imam Chalghoumi, a été co-rédigé avec Farid Hannache*, son conseiller, communicant versé dans l’art de la rhétorique dont l’emploi systématique de figures incantatoires rend la lecture séduisante mais complexe.

D’autant plus complexe qu’au détour des multiples figures de style où l’on ignore souvent si les assertions constituent sa pensée, celle de ses fidèles ou celle des intégristes étant donné l’absence de guillemets, se manifestent des contradictions absolues. Par exemple, enjoindre aux musulmans de cesser de se considérer comme des victimes tout en déplorant moult stigmatisations, blessures et humiliations. Ou encore, écrire que la France n’est pas raciste tout en affirmant que “les musulmans de France [sont] pris en otage par la ségrégation et le séparatisme de fait” ou qu’il s’agit“d’une communauté stigmatisée de clichés et d’avanies, condamnée à être bannie en banlieue et à devenir presque entièrement suspecte.

Il se prononce contre la takkyia (art du double langage) en tant qu’elle serait spécifiquement chiite. Et pourtant son livre, marqué par bien des imprécisions, peut être lu comme tout et son contraire. 

Pas de politique ? Tant de politique !

L’imam Chalghoumi narre son chemin d’homme de foi dans un exorde métonymique où il cède la vedette aux fidèles de toutes origines géographiques réunis à La Mecque. Ces fidèles “dont le point de convergence n’est pas seulement l’Au-delà”, mais aussi“l’ici-bas”. Et qui, dans ce geste de la prière, “ressemblent aux autres fidèles des autres religions monothéistes qui prient dans des églises, des synagogues ou des temples”. Une comparaison syncrétique qui ne manquera pas, au long de l’ouvrage, de se déployer sur des sujets très éloignés du quiétisme par le biais de ce que l’on appelle la prétérition, ou l’art de parler de choses tout en annoncant que l’on ne va pas en parler.

En l’occurrence, parler de politique intérieure et internationale. Rarement en termes théologiques, on s’en doute, mais plutôt en termes historiques – sur un mode assertif et expéditif se souciant peu de vérité. Ainsi, selon les auteurs, les Juifs seraient arrivés en France au XIXe siècle tandis qu’il y aurait dans l’Hexagone “une ancienne présence musulmane, spirituelle ou culturelle, anthropologique ou scientifique”. La présence juive en France est pourtant attestée depuis le IVe siècle.

Autre exemple : cette mise en regard aberrante entre Hadj Amine Al-Husseini, le mufti de Jérusalem qui prêta main forte à Hitler, notamment en exigeant en 1943 la déportation d’enfants juifs hongrois, bulgares et roumains vers un camp d’extermination (par méconnaissance des pratiques nazies selon les auteurs, alors même que dès 1942 Al-Husseini avait visité et admiré le camp de concentration d’Orianenburg-Sachsenhausen !) et le sauvetage d’un millier de Juifs par la Mosquée de Paris sous l’Occupation : “Si le mufti de Jérusalem avait su, il aurait été comme l’imam de la Grande Mosquée de Paris.” Sic

Mais foin de ces détails, monsieur Chalghoumi n’est ni historien ni homme politique. Il est imam et en tant que tel appelle à conduire ses brebis sur la voie du Bien qu’enseigne l’islam qu’il défend : celui des Tablighis, dont il a reçu l’enseignement à Lahore, Pakistan, apparemment dans les années quatre-vingt-dix. “Une école où la politique ne pervertit pas la religion”, à la différence des Frères musulmans dans une analyse à la loupe, ou des régimes théocratiques d’Iran – qu’il foudroie pour ses lois et ses velléités régionales - et d’Arabie Saoudite – pays à l’égard duquel l’imam est assez nuancé. (voir son interview sur RMC sur le royaume séoudien).

“Construire la paix dans l’esprit des hommes”, à l’instar du Prophète à Médine, tel est le propos d’un développement intitulé Médine-Paris qui précède l’axe rêvé La Mecque-Paris pour un islam redevenu “pur” (ce terme bénéficie de nombreuses occurrences) puisque référant à l’esprit des premiers temps de cette religion. Où La Mecque serait le coeur vibrant de la renaissance, et Paris son flambeau.


 

Les Textes, racine et destination ultime de l’éducation ?

Islam purgé de la politique, donc, mais aussi islam de l’ijtihad. L’ijtihad est un effort de réflexion dont l’absence, selon certains penseurs musulmans, est la cause de l’obscurantisme et de la décadence dans lesquels est plongée la civilisation islamique. Le réveil de l’ijtihad peut faire renaître celle-ci. L’imam Chalghoumi en réfère en l’espèce au réformateur Jamel el-Dine Al-Afghani, qu’il cite, et probablement au Dar Al Arqam Ibn Al Arqam, première institution pédagogique établie par le Prophète aux temps où la prédication était tenue secrète.

Cette volonté pédagogique des débuts de l’islam lui a valu, selon ses exégètes, de conquérir les coeurs, d’établir son empire et de forger plus qu’une religion, une civilisation, “la plus grande” (sic), dont “le rôle dynamique et l’apport scientifique à la civilisation occidentale” doivent figurer dans les manuels scolaires, afin, explique M. Chalghoumi, de rassurer les musulmans de France sur leur identité et de développer la voie de l’indispensable réforme, que le langage contemporain de notre société sécularisée désigne sous le terme de “modération” ou de “modernité”.

Au long de ce livre, l’imam se propose donc de “moderniser la pratique de l’islam et modérer les musulmans pratiquants”.

La modération invoquée dans l’ouvrage et qui se nourrit d’autocritique (la critique de l’islamisme et la voie de l’ijtihad) se fonde sur deux plans distincts.

Au plan religieux, sur l’appel savant à des versets coraniques explicités par des haddiths (paroles du prophète authentifiées par les récitants au fil des siècles jusqu’aux temps du quatrième calife, Omar, qui en fixa définitivement les sources tandis qu’il édictait les lois du premier Etat islamique) et à des extraits de la sira (la vie du prophète, dont les actes illustrent l’engagement religieux et le respect du Livre révélé, insistent les auteurs, sur une durée de 23 ans). Avis aux rénovateurs qui s’aviseraient de prétendre que l’élaboration du Coran s’est poursuivie sur plusieurs siècles (Alfred-Louis de Prémare) et que “les questions de démocratie, de laicité, de droit de l’homme, d’égalité entre homes et femmes doivent  être abordées en dehors du texte coranique” (Rachid Benzine). 

“Referme ton Coran. Pense et regarde librement le ciel et la terre” (Omar Khayyam)

Ainsi, au nom de l’islam, l’imam Chalghoumi se prononce-t-il contre l’excision “sauvage”, la polygamie qui “n’a aucune place dans l’islam quand elle altère la justice”, les nuisances sonores (“car l’esprit de l’islam est d’interdire la nuisance, physique ou sonore, matérielle ou même visuelle”), les mariages temporaires (réservés aux chiites, le chiisme étant minoritaire en islam et souvent considéré comme une secte), la drogue, le vandalisme, les châtiments corporels (sans plus de précision), les crimes d’honneur (relevant de coutumes tribales) et l’inégalite homme-femme qui, précisément, empêche le retour aux lumières islamiques en privant la moitié de l’humanité de la nécessaire éducation à la fois religieuse et profane issue des Textes sacrés et retournant à ceux-ci. Car par l’éducation de toutes et tous, il convient de “protéger l’islam des dérives sectaires” qui véhiculent la discorde et mettent en péril l’Unité sacrée. Cette finalité unificatrice est au coeur de la législation islamique (la charia) et, par voie de conséquence, de l’ijtihad.

L’islam pur, selon M. Chalghoumi, est facteur de tolérance : “ Nous avons l’obligation de respecter la dignité et la foi des gens du Livre qui vivent minoritairement parmi les musulmans”. Cet appel ne concerne certes pas la France où la majeure partie de la population est soit agnostique/athée soit chrétienne, quand bien même M. Chalghoumi avance le chiffre exorbitant et fantasmé de dix millions de musulmans dans l’Hexagone, qui seraient tous de fervents pratiquants en demande de lieux de culte, de cimetières réservés, d’aumoniers et d’imams. Ce que réfutent les études de Bernard Godard**.

 

L’Etat au banc des accusés

Au nom de l’islam, M. Chalghoumi condamne fermement l’antisémitisme, le négationnisme et le racisme. Tout en portant le fer contre des “ayatollahs du progressisme” dont on ne comprend pas très bien de qui il s’agit, d’autant que les combats contre le racisme et l’antisémitisme sont portés notamment par des personnalités et des associations progressistes. Au nom de l’islam, en bref, l’imam donne son aval aux lois et préceptes de la République francaise et aux inscriptions sur les frontons de nos mairies dans le but de“desserrer la méfiance de l’Etat”. Etat qu’il accuse de se mêler de trop près au culte musulman, notamment par la surveillance des renseignements généraux (“les services de l’ombre (…) qui intriguent pour ou contre une religion”). Etat dont il dénonce aussi les manoeuvres politiciennes lors de négociations dans “les salons dorés de la République” avec des responsables religieux ou politiques à la solde de pays étrangers – manifestement le Maroc et l’Algérie, creusets des premières migrations musulmanes en France- ou avec des groupes de pression, notamment parlementaires ou à l’occasion de commissions. Mais ces “représentants de la nation” ne sont pas nommés.

Méfiance de l’Etat dont il accuse également les Procureurs de la République d’exercer une “justice sensible au faciès”. Et “certains députés très minoritaires ou résiduels (…) de légitimer l’hostilité de la communauté musulmane”. On ignore qui et à propos de quoi. 

L’Etat n’est pas le seul au banc des accusés, mais la République elle-même : “Il n’est pas plus bête et plus infamante posture que d’aller dans une école ou dans une classe remplie exclusivement d’enfants appelés maintenant pudiquement “enfants issus de la diversité’, c’est-a-dire enfants arabes et blacks, comme on dit habituellement, et en sortir offusqué par les prétendus incivismes, sexismes et antisémitismes qui y règnent, qui ravageraient même quelques écoles maternelles, et continuer à fuir en survolant le problème, en gesticulant dans le vide, en hurlant de facon hystérique, contre les banlieues perdues, contre la République qui va périr, contre ces enfants qui balbutient une vie subie (…) Ces enfants ne sont pas l’échec de l’intégration, mais l’échec de la République”. Allusion au rapport de la Direction générale de l’enseignement scolaire remis ce mois-ci à Luc Chatel ?

C’est toujours au nom de l’islam que M. Chalghoumi condamne fermement les Frères musulmans et l’UOIF (Union des organisations islamiques de France), ainsi que le système d’élections au CFCM (Conseil francais du culte musulman), basé sur le nombre de mètres carrés de mosquées qui sont souvent acquises à cette mouvance transnationale. Il semblerait qu’il reproche aux Frères musulmans de nuire à l’image de l’islam en se mêlant de politique. Il accuse sans équivoque Tariq et Hani Ramadan responsables selon lui d’avoir provoqué l’interdiction des minarets – “symboles de la pureté religieuse et de la droiture” – en Suisse. Les Frères musulmans, comme tous les intégristes, sont désignés comme responsables de la fitna, la discorde, là où il importe au contraire de rassembler les communautés dans la Voie de l’islam qui est l’Unité et la concorde. Ce pourquoi M. Chalgoumi suggère de débarrasser l’islam des“impuretés obscurantistes” et de “l’impureté politicienne”, assurant qu’il “n’abandonnera jamais la défense de la pureté de l’islam et de la sécurité de la France”. Pour que notre démocratie laïque cesse d’être ternie par des “malveillances”, des “mensonges”, des “clichés” et “une férocité atterrante”.

En matière de déclaration d’amour à la France, sa chère patrie, il y a de quoi être interloqué.

 

Révolte ou règlements de compte ?

L’unité et la concorde répétitivement invoquées ne laissent aussi d’interroger puisque, perdues au creux de pages amphigouriques rythmées par l’emploi excessif d’anaphores, de chiasmes, d’allitérations et de métaphores, se logent des charges rarement limpides comme autant de règlements de comptes.

Contre la mosquée de Paris “entre les mains de quelques familles de dignitaires charismatiques”… “jusqu’à ce qu’Allah récupère sa terre”. Contre Ayyaan Irsi Ali et Fadela Amara : “Insoumis n’est pas un métier pour entrer au parlement hollandais ou au gouvernement francais”. Contre “des gens divorcés de la réalité qui dialoguent et divaguent autour de l’islam”, “une partie de ce groupe est divorcée de l’esprit de l’islam (…). Mais ce sont ces gens que l’on préfère inviter sous les lumières aveuglantes des médias”.

Contre, également, les “ayatollahs de la laïcité" à ne pas confondre avec les racistes utilisant celle-ci comme bouclier, mais tout de même. Il est permis de supposer que ces “ayatollahs de la laïcité”, dans le débat qu’appelle l’imam de ses voeux, auraient quelques réticences à approuver des propositions concrètes telles que “la mise à disposition des cultes d’édifices ou de lieux appartenant à l’Etat, aux départements ou aux communes” et la formation des imams “via le régime concordataire de l’Alsace-Moselle”, bête noire des laïcs.

Enfin, nul besoin d’être un ayatollah de la laïcité qui mesure la largeur du voile ou la longueur de la barbe (sic) pour demander a M. Chalghoumi ce qu’il entend par “La liberté d’expression ne signifie pas la liberté d’insultes, la liberté de la presse ne signifie pas la liberté de jeter de l’huile sur le feu”. Et si ces remarques concernent exclusivement “les blessantes et infamantes caricatures attentatoires à la dignité de notre Prophète” puisqu’”on ne peut lutter contre le racisme qu’en pratiquant et en montrant le meilleur de l’islam”. 

Enfin, outre l’argument religieux en soi, les revendications de l’imam Chalghoumi pour un islam de France se fondent, curieusement, beaucoup sur la communaute juive. Ainsi, au même titre qu’il condamne l’antisémitisme et encourage le devoir de mémoire, il dénonce l’islamophobie comme un racisme et appelle à la révision des manuels scolaires en faveur de la civilisation musulmane. Ainsi, c’est au nom de son empathie pour les juifs (en tant, sans majuscule, que fidèles du judaïsme) qu’il est très attaché à la cause de la résistance palestinienne : “Peut-être que le plafond apocalyptique de la Shoah est indépassable, mais avec la haine mimétique puis frénétique, aucune horreur n’est infranchissable”.

Mais cet aspect des choses mériterait un article en soi.

Observatoire de l'islamisation, octobre 2010.

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