16/10/2012
Attention aux citations tronquées ou inventées d'Alain Finkielkraut sur le multiculturalisme
Nous faisons cette mise au point après avoir été induits en erreur par une citation à moitié inventée par Hervé Ryssen, et une autre tirée de son contexte laissant croire que Finkielkraut pense l'inverse de ce qu'il pense réellement. Après vérification dans l’édition de 1996 de L’humanité perdue, nous regrettons d’avoir insinué qu’Alain Finkielkraut avait « réalisé un virage à 180° ».
Dans une interview pour VoxNR sur son livre « Les espérances planétriennes »(2005), Hervé Ryssen expose des citations tronquées de Finkielkraut insinuant qu’il partage les positions multiculturalistes d’autres personnalités qu’il cite comme Alain Minc , Jacques Attali ou BHL.
« Hervé Ryssen: Il est bien certain que tout est mis en œuvre pour nous faire renier nos racines, nos traditions, notre histoire, nos familles et nos patries, afin de mieux nous faire accepter la société « ouverte » chère aux esprits cosmopolites et l’idée d’un gouvernement mondial. Alain Finkielkraut a insisté sur ce point : « Le Mal, écrit-il, vient au monde par les patries et par les patronymes (10). » »
Ryssen omet de préciser que la citation renvoit à la position du touriste-nomade, de "L'homme planétaire" dont il dénonce l’archétype qu’il s'attèle à définir.
Trois pages avant cette citation de L'Humanité perdue (Seuil,1996) Finkielkraut présente les positions de Pierre Bourdieu, qui durant le conflit en ex-Yougoslavie prit la défense de la Bosnie multiculturelle (et dirigée par l’islamiste Izetbegovic). Finkielkraut lui soutint la Croatie souveraine naissante, tout en condamnant les crimes commis par des croates. Bourdieu fut à l’initiative d’un « Parlement intellectuel européen » dont les arguments étaient convenus et caricaturaux, comme les présente Finkielkraut :
« Aux nations pécheresses du fait même d’être des nations, la Bosnie opposait sa pureté ontologique et son innocence multinationale. Affranchis de tout lignage, dégagés des divisions, des discordes de la servitude charnelles, ses citoyens n’avaient pas à rougir ou à s’excuser de leur appartenance : leur nom, plus qu’un nom, était l’emblème du cosmopolitisme ; leur territoire, plus qu’un lien particulier, était un modèle réduit de l’universel. Etre bosniaque, c’était déjà mieux que slovène, croate, albanais, macédonien ou serbe » (page 143)
Puis Finkielkraut présente le mal être qu’ont expérimenté respectivement Hanna Arendt et Jean Améry (né Hans Meyer) après leur exil forcé de leur terre natale pour Anvers et New-York. « L’expatrié n’est plus lui même » remarque l’auteur à la lecture des impressions des deux écrivains désarçonnés par la perte des repères familiers de leur patries perdues, et il ajoute « l’homme ne conquiert pas son humanité par la liquidation du passé qui le précède, la répudiation de ses origines ou le dessaisissement de la conscience sensible au profit de la raison surplombante ou toute-puissante »
Finkielkraut dénonce les excès du « culte de l’appartenance » et l « enfermement des individus dans leur race ou leur culture » mais en aucun cas ne veut remettre en question le droit légitime des peuples et des cultures à demeurer eux mêmes. D’ailleurs, dans une autre interview (http://inforeaction.com/2013/07/22/le-judaisme-est-un-projet-politique-herve-ryssen/) Hervé Ryssen a ajouté les mots « ne saurait être définitivement conjuré que par l’instauration des sociétés pluriethniques » à sa citation:
"Le risque mortel que fait peser sur le monde le culte de l’appartenance, la segmentation de l’humanité et l’enfermement des individus dans leur race ou dans leur culture ne saurait être définitivement conjuré que par l’instauration des sociétés pluriethniques."
La deuxième partie de la phrase attribuée par Ryssen n’existe pas dans L’Humanité Perdue ! Voir le scan :
Existe-t-il plusieurs éditions de L'Humanité perdue ? Nous allons tenter de vérifier.
Concernant la citation « Le Mal vient au monde par les patries et par les patronymes » il s’agit en fait de la position de « L’homme planétaire » qu'il présente quelques lignes plus haut, et non de la position de l’auteur qui critique cet archétype ! Ne pas le préciser est très malhonnête.
Finkielkraut termine ce chapitre intitulé « Des Anges et des hommes » en se lamentant de la victoire annoncée de l’ « homme planétaire » déraciné :
« Malheur à nous, donc, car, conformément à l’inquiétude de Chateaubriand et à la prophétie nietzschéenne, la planétarisation gagne, le désert croit et, malgré l’enseignement d’Améry, c’est la mémoire du désastre qui protège du désert, comme si ce siècle n’avait eu lieu que pour interdire la nostalgie de la terre et pour veiller à la bonne marche des opérations » (page 157)
De l’importance de lire les auteurs in extenso avant d’émettre des jugements péremptoires !
Joachim Véliocas.
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