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28/03/2007

L'affaire turque: le dossier complet -partie 2

Dossier complet sur la Turquie : historique des relations avec l’UE, processus d’adhésion, question islamique, le rôle souterrain des Etats-Unis, la politique chaotique de la France. Réalisé par Joachim Véliocas. Libre reproduction avec mention de la source. Cliquez dessous pour la deuxième partie.


b) Le processus d’adhésion 

 

Le faux argument de la « salle d’attente » 

   Destiné à culpabiliser les européens, l’argument distillé à longueur d’émissions télévisées et radiophoniques selon lequelles l’ Europe ne tiendrait pas ses promesses et laisserait dans une salle d’attente la Turquie depuis 40 ans, est fallacieux. La première demande d’adhésion officielle de la Turquie remonte à 1963. Si les européens reçoivent la demande sans la rejeter, ils ne l’ont cependant pas admis jusqu’en 1970 où la CEE et la Turquie  signent un accord prévoyant, à terme, l’adhésion à part entière de la Turquie au bloc européen. A l’époque la CEE n’est qu’une organisation économique, dénuée de tout projet commun en matière de politique de défense et de sécurité, et non supranationale, les états restant souverains. L’UE est une organisation d’un autre type, l’Acte Unique (1986), Maastricht (1992) et surtout le Traité d’Amsterdam (1998) sont passés par là, il s’agit maintenant d’un ensemble sans frontières communes avec une politique monétaire unique, des visées géostratégiques communes (PESC), avec une souveraineté partagée par la double majorité et estropiée par la perte du droit de veto dans bien des domaines. Il ne s’agissait donc pas du tout du même type d’adhésion. La première demande fut avant tout un partenariat économique, il s’agit maintenant d’une intégration politique ! De plus, la vision d’une Europe condescendante rejetant systématiquement le candidat est fausse : en 1978-79, Bruxelles suggéra à la Turquie de formuler une demande conjointe avec la Grèce et  la Turquie rejeta la proposition. Puis intervient le coup d’Etat de l’ armée en 1980, coupant les relations diplomatiques entre les deux parties. L’arrivée de Turgut Ozal au pouvoir en 1983, ne va pas non plus dans le sens de l’adhésion : artisan de la réislamisation du pays il déclare «  En Turquie, le régime est laïque, mais pas moi. »[1] En 1986 le parlement vote une loi punissant de six mois à deux ans de prison « les insultes à la religion musulmane, Allah et son prophète », en d’autres termes, le blasphème et les critiques trop acerbes sont désormais interdites.C’est Ozal en 1987 qui formule la demande d’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne.

 

 

18 juin 1987 : la résolution bafouée du Parlement européen 

 

   La candidature officiellement posée, le parlement européen fixe un ensemble de préalables indispensables à toute négociation, faire sauter ce qu’elle appelle des « obstacles incontournables »  :  « Le refus du gouvernement turc de reconnaître le génocide ; sa réticence à appliquer les normes du droit international dans ses différends avec la Grèce, le maintien des troupes turques d’occupation à Chypre, la négation du fait kurde ; […] l’absence d’une véritable démocratie parlementaire et le non respect des libertés individuelles et collectives, notamment religieuses dans ce pays »[2]

   Dix-huit ans après la rédaction de la pieuse résolution, l’UE agit comme si elle n’existait pas, démontrant le peu de conviction et de moralité d’une organisation se voulant championne des droits de l’homme. De plus, lors du sommet de Copenhague de 1993, une série de critères furent édictés concernant les obligations requises à tout candidat à l’adhésion, comprenant une large partie sur les droits de l’homme, comme le respect des minorités. Ces critères, tout autant bafoués que la résolution de 1987, n’empêchera pas l’ouverture des négociations.

 En janvier 1996 rentre en vigueur l’accord abolissant les droits de douane entre l’UE et la Turquie, puis en décembre 1999, a  Helsinki, sur proposition de Jacques Chirac, la Turquie est officiellement reconnue comme « pays candidat qui a vocation à rejoindre l’Union sur la base des mêmes critères que ceux qui s’appliquent aux autres candidats. »[3]

 

 

6 octobre 2004 : La recommandation positive de Bruxelles

   «  La dynamique de la population turque pourrait contribuer à compenser le vieillissement des sociétés européennes ». Voilà  une partie du contenu de la recommandation positive que fit la Commission. C'est-à-dire qu’une des raisons d’accepter les négociations est la perspective d’accélération d’une immigration de substitution de population, dans une logique purement comptable indifférente des questions identitaires et culturelles.  La recommandation ne craint pas de transformer l’histoire. Ainsi, la Turquie ne reconnaît pas l’Etat de Chypre, et pire, viole son espace aérien à plusieurs reprises dès le lendemain de l’ouverture des négociations le 3 octobre 2005, mais on lit « Elle a activement soutenu les efforts de résolution du problème chypriote, et continue de le faire, et elle s'est en particulier associée à la solution présentée dans le plan de paix du Secrétaire général des Nations unies. »

   Si la Turquie a acquiescé le Plan Annan, ce n’était pas pour complaire aux Chypriotes grecs mais bien parce que la solution proposée convient à ses intérêts. Le chercheur Alexandre del Valle explique : « Anti-démocratique, le Plan Annan conférait à l’armée turque un droit d’intervention dans toute l’île en tant qu’« Etat garant » (source de la crise chypriote avec la Constitution de 1960), avalisait la présence des militaires turcs et des 117 000 colons anatoliens, puis prévoyait - en cas de désaccords entre les deux Etats fédérés – de transférer les pouvoirs exécutif et législatifs à un « Comité Constitutionnel » de 9 membres dont trois étrangers parmi lesquels un représentant d’Ankara. »

La recommandation loue les bienfaits de l’intégration turque au niveau économique :

« L’adhésion de la Turquie aurait sur l'Union une incidence économique positive ». Aussi on y lit « L’intégration de la Turquie au marché intérieur serait bénéfique. » Pourtant, quelques lignes plus loin, est notifié que « L’incidence budgétaire de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne ne pourra être pleinement mesurée qu’une fois les paramètres des négociations financières avec la Turquie définis dans le cadre des perspectives financières pour 2014 et les années suivantes. La nature et le montant des transferts à la Turquie dépendraient d'un certain nombre de facteurs fluctuants. » 


    Les prévisions existent déjà dans les bureaux Bruxellois. A elle seule, la Turquie consommerait autant d'aides européennes que les dix candidats réunis, mais avec un risque de détournement de fonds beaucoup plus élevé (le seul cas comparable est la Roumanie ), étant donné le degré de corruption extrême du pays, d'après des études de l'OCDE et de Transparency International.

   Occupant 35 % de sa main d'œuvre, son agriculture absorberait l'essentiel des crédits de la nouvelle politique agricole commune. Si on ajoute à cela les 2,6 milliards d'euros relatifs aux programmes de protection des frontières et les 22,4 milliards d'euros de fonds structurels européens consacrés aux régions pauvres de l'UE, le total du coût annuel de l'intégration turque pour le budget européen pourrait s'élever à au moins à 31,8 milliards d'euros, si la Turquie bénéficie du même taux d'aides européennes que les pays comme l'Irlande, la Grèce , l'Espagne et le Portugal. « Le poids que représenterait la Turquie pour le budget communautaire serait considérable si l'on prend en considération non seulement sa population prévisible mais aussi l'étendue de son territoire à aménager aux normes communautaires (775 000 km2). Faute de quoi, des régions entières deviendraient de plus en plus périphériques, avec des effets induits par ce processus » explique l'expert Pierre Verluise. La Commission reconnaît  que l’agriculture serait amenée à avaler une part non négligeable de subsides européen:  « L’agriculture est l’un des secteurs socio-économiques les plus importants de Turquie et mériterait une attention spéciale.[…] Elle pourrait prétendre à une aide considérable dans le cadre des politiques actuelles. »

    Dans une étude publiée au sein de la Commission européenne en septembre 2004, le Commissaire à l'agriculture, Frantz Fischler,  estima que l'adhésion de la Turquie coûterait, en subventions agricoles, entre 11 et 13 milliards d'euros. Avec 6,8 millions d'agriculteurs, elle dispose d'une force de travail, numériquement dix fois plus grande que n'en a la France. Si elle contribuait au budget communautaire, elle en profiterait largement, aux dépens de la plupart des bénéficiaires actuels. Pour rattraper tout ce retard et remettre à niveau les régions turques les plus sinistrées de l'Est, l'Union européenne devrait consacrer dans l'hypothèse la plus basse, 26 milliards d'euros annuels au titre des fonds structurels et de la Politique Agricole Commune. Autant d’argent dont seraient privés les agriculteurs européens, qui souffrent pourtant d’une entrée brutale dans la mondialisation, avec des revenus en chute libre, des fermetures d’exploitation en série, et des taux de suicides élevés.

    Le 28 juin 2006, la Banque centrale turque rendit public un rapport prévoyant « considérable» le ralentissement de la croissance pour le deuxième semestre de 2006 et la première moitié de 2007…

    La Commission s’efforce de rassurer le bon peuple en lui promettant de suspendre les négociations en cas de violations de droits basiques. Ces droits sont pourtant toujours bafoués en 2006 :

« En accord avec le traité sur l’Union européenne et la Constitution pour l’Europe, la Commission recommandera la suspension des négociations en cas de violation grave et persistante des principes de liberté, de démocratie, du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l’État de droit, sur lesquels l'Union est fondée. Le Conseil pourrait prendre une décision concernant cette recommandation à la majorité qualifiée. »

Recommandation positive car les kurdes et les « anti-nationaux » sont certes encore torturés, mais plus systématiquement, "ouf" :

« La torture n’est plus systématique, mais de nombreux cas de torture et, en particulier, de mauvais traitements continuent à se produire et des efforts supplémentaires seront nécessaires pour éradiquer ces pratiques. »

   La recommandation positive  fait preuve d’autres incohérences. On y lit une chose : « Bien que la liberté de religion soit garantie par la constitution et que la liberté de culte ne soit guère entravée » Et son contraire: « les communautés religieux non musulmanes continuent à rencontrer des difficultés liées à la personnalité juridique, aux droits de propriété, à la formation du clergé, aux écoles et à la gestion interne. Une législation appropriée pourrait remédier à ces difficultés. Les Alevis ne sont toujours pas reconnus comme minorité musulmane. »

    La liberté de culte n'est guère entravée, mais l'Eglise catholique n'a pas de statut juridique lui permettant de récolter des fonds pour rénover et construire des lieux de cultes, on impose aux élèves alevis l'islam de rite hanéfite à l'école, la réouverture du séminaire de Halki est empêchée, l’enseignement de la langue assyro araméennes et l’arménien sont bannis des écoles. Les Commissaires européens, dans le confort de leurs bureaux, paraissent tout ignorer du sort des Chrétiens de Turquie. C’est bien dommage.

12 Décembre 2004 : l’accord du Conseil européen

   A Copenhague, les Quinze pays membres réunis en Conseil, sur la base de la recommandation positive de la Commission, saluèrent les progrès censés être accomplis, et donnèrent leur accord pour ouvrir les négociations dès le 3 octobre 2005, sous réserve de la signature du protocole d’Ankara, portant sur la reconnaissance de Chypre et garantissant le respect des droits de l’homme. Pourtant, en novembre 2005, la Commission rendit public un rapport pointant un manque de collaboration  patent de la Cour des auditeurs turcs.

La présidence anglaise pour la vision états-unienne 

   La Grande Bretagne désire une Union Européenne purement économique, à ce titre l’adhésion de la Turquie serait pour elle une manière de conforter des relations commerciales tout en étant protégée des inconvénients d’une telle adhésion. Premier inconvénient écarté, le Royaume  ne fait pas partie de l’ « espace Schengen » pour ce qui est des questions migratoires.  Participant au budget d’une manière parcimonieuse elle ne contribue pas aux  fonds structurels sur un pied d’égalité avec les autres membres, destinés aux Etats en moindre développement économique. Jack Straw, chef de la diplomatie britannique, rejette l’idée d’un partenariat privilégié « l’objectif des négociations et l’adhésion complète »  annonçait-il juste avant le début des négociations, reprenant l’argument litanique de la conjuration du choc des civilisations « nous avons besoin de voir la Turquie dans l’Union, nous sommes préoccupés par le supposé choc des civilisations ».

 

 

  Le rôle souterrain des Etats-Unis 

   Le 15 Novembre 1999 lors d’une visite d’Etat en Turquie, le président américain Bill Clinton déclara que les Etats-Unis souhaitaient que la Turquie soit acceptée comme un pays membre de l’UE. Quelques semaines plus tard, les chefs d’Etat de l’UE au sommet d’Helsinki décidèrent d’accepter la candidature Turque…Les Etats-Unis, bien décidés a empêcher l’émergence d’une superpuissance rivale, unifiée et cohérente politiquement, travaillent depuis des années à orienter le projet d’Union Européenne vers une pure zone de libre échange, restant un « ventre mou » politique.

    L’adhésion de la Turquie  tuerait dans l’œuf la Politique de Sécurité et de Défense Commune, simple concept, jamais traduit dans l’action, comme le prouva la pitoyable remise aux américains du règlement de la crise yougoslave. Américains qui soutinrent la création d’un Etat islamique en Bosnie dirigé jusqu'à sa mort par l’ancien nazi islamiste Izetbegovic, et qui appuyèrent les islamo mafieux de l’UCK, organisation pourtant classée terroriste par Washington, dans leur action d’épuration des chrétiens du Kosovo. Kurt Volker, sous-secrétaire d’Etat adjoint du département d’Etat pour les affaires européennes, ancien analyste de la CIA, est un des principaux représentants des intérêts américains en Europe. Parlant français, hongrois et suédois couramment, ce diplomate est le principal interlocuteur des européens sur la question turque, souvent au premier plan des relations transatlantiques, de la guerre en Bosnie à l’installation des bases américaines en Hongrie en tant que directeur de l’Otan pour l’Europe de l’ouest. Le 8 septembre 2005 l’officiel déclarait « Il est dans l’intérêt de l’Union Européenne, il est dans l’intérêt de la Turquie,il est dans notre propre intérêt que les négociations d’adhésion de la Turquie commencent à la date prévue. »  En écho à un rapport de la CIA ayant filtré dans la presse en 2004, annonçant les conséquences désastreuses d’une adhésion en termes économiques, politiques et migratoires, la position des américains reste la cynique défense de ses intérêts par l’affaiblissement de ses concurrents.

Dans la soirée du 3 octobre 2005, le rôle que joua Condoleezza Rice fut méconnu mais capital pour débloquer une situation en voie de blocage. Le principal obstacle fut la menace du  veto autrichien à l’ouverture des négociations. Les autrichiens réclamaient la future candidature de la Croatie, vœu paraissant plus logique que celle de la Turquie, mais empêché par le manque de zèle de Zagreb à collaborer avec le Tribunal Pénal International réclamant l’extradition du général Ante Gotovina afin qu’il puisse être jugé. Ainsi, Clara Del Ponte présidente du tribunal spécial, fit un violent réquisitoire le 30 septembre sur le manque de coopération de Zagreb, rendant impossible toute candidature à l’UE.

Condoleeza Rice d’une part téléphona officiellement le dimanche et le lundi précédent la réunion de l’UE, à la Turquie afin de la convaincre d’accepter les conditions européennes. D’autre part, la proximité de Clara Del Ponte avec Washington, le TPI étant une création américaine, explique le revirement de la présidente le 3 octobre, qui soudainement estima que Zagreb coopérait pleinement avec le TPI. Ainsi, l’obstacle levé, les négociations purent commencer.

 

 

 

 

La Commission contre l’avis des  peuples européens

 

 

   La Commission européenne, pour rassurer la Turquie après les camouflets français et hollandais contre une Constitution européenne dont l’Acte final fut signé par la Turquie, rédigea un texte au mois de juin 2005. Son contenu est une réaffirmation de la volonté de faire adhérer -partenariat privilégié écarté- la Turquie :  « l’objectif commun des négociations est l’adhésion ». La voix du peuple allemand n’a aucune importance pour Günter Verheugen vice-président de la Commission européenne et commissaire en charge de l’industrie. En effet, le commissaire  estima dans une interview accordée au site Internet "Euraktif" qu’un vote pour la CDU –parti qui affirme son refus du principe d’adhésion- aux élections législatives n’affecterait pas l’ouverture des négociations d’adhésion avec la Turquie. Le commissaire, à l’éventualité d’un partenariat privilégié, répond : « Les Turcs ne l’accepteront pas. L’UE s’est engagée sur des négociations pour l’adhésion, et non pour autre chose » L’avis des turcs est apparemment plus important pour le fonctionnaire, que l’avis des millions d’électeurs allemands. Tout aussi grave pour la démocratie, le commissaire compare les élections d’une des plus grandes nations du monde à un « débat public discutable » :

 « La Commission a fait une proposition, et en ce qui me concerne, je la soutiens. Mon conseil aux Etats membres est de comprendre que ce sujet a un enjeu stratégique très important, et que cette importance stratégique ne se réduira pas avec des débats publics discutables »

65% des habitants de l’Union Européenne sont contre l’entrée de la Turquie en Europe, relevait un sondage effectué en mai et juin 2005 pour l’Eurobaromètre, commandé par la Commission même. La marge d’erreur est de 1,9 à 3,1 points de pourcentage en plus ou en moins annonce l’institut sondeur. Ainsi, c’est à une large majorité que les peuples européens rejettent l’idée de partager un gouvernement commun avec la Turquie. Pour la Commission, l’avis des peuples est dérisoire car ils sont forcément bien moins cultivés et intelligents que l’élite technocratique bruxelloise,  la démocratie n’ayant de sens que si elle emprunte une voie déjà prédéterminée.

 

 

 

« L’islam a toute sa place en Europe »

Le 25 avril 1980, Jacques Chirac balayait sur la radio RMC une idée absurde :«  Cette histoire d’élargissement de l’Europe est tout à fait absurde. La Turquie, maintenant, est candidate. Demain ce sera le Zimbabwe ! »

Vingt ans plus tard, le président n’est plus à un volte face près, en décembre 1999 à Helsinki lors du Conseil européen il affirme:

   « La Turquie a toute sa place dans l’Europe du point de vue historique, de la civilisation. Je sais que la chose peut se discuter d’un point de vue strictement géographique , mais je ne crois pas qu’on puisse la discuter du point de vue historique, de la civilisation »

Dominique de Villepin est aussi un fervent défenseur de l’adhésion de la  Turquie à l’UE :

« l’engagement pris par les européens ne saurait être remis en cause. La Turquie est un pays candidat, qui a vocation a rejoindre l’Union sur la base des mêmes critères que les autres ». L’islam, d’ailleurs est l’avenir de l’Europe :

« Oui, l'islam a toute sa place dans l'Europe, d'ores et déjà et davantage encore à l'avenir, pensons à la Turquie ou encore à la Bosnie, qui a su, dans la pire des épreuves, maintenir vivant son double héritage, européen et musulman. »

   Les deux assertions finales ne manqueront pas d’étonner. Soutenu par l’Otan  et la France pendant la guerre et vainqueur des premières élections en Bosnie, le président Alija Izetbegovic, mort en novembre 2003, arracha la Bosnie à son destin européen.

    Adhérant à l’internationale islamiste OCI, la Bosnie est grignoté par le wahhabisme, finançant mosquées et changeant jusqu'à la tenue vestimentaire les coutumes. Outre des dizaines de mosquées flambant neuves, l’Arabie Saoudite a été jusqu'à construire une académie islamique dans la ville de Bihac. Le christianisme se réduit dorénavent à une peau de chagrin en Bosnie. Dans sa « déclaration islamique », publiée en 1970 et réédité en 1990, Izetbegovic expliquait sa conception de la Bosnie pluraliste fantasmée par Villepin : « il n’y a pas de paix, ni de coexistence entre la religion islamique et les institutions sociales non  islamiques[…]l’islam exclut clairement le droit et la possibilité de la mise en œuvre d’une idéologie étrangère sur son territoire. Il n’y a donc pas de principe de gouvernement laïc […]  Le mouvement islamique doit et peut prendre le pouvoir dès qu’il est normalement numériquement fort à tel point qu’il puisse non seulement détruire le pouvoir non islamique, mais qu’il soit en mesure de construire le nouveau pouvoir islamique »[5]

   Comme le remarque le géopoliticien Alexandre del Valle, à rebours des mensonges professés -entre autre- par Bernard Henry Lévy, présentant l’armée bosniaque comme le camp du multiculturalisme face à une armée serbe raciste, « Soi disant multiconfessionnelle, l’armée bosniaque sera elle aussi rapidement « purifiée », le général serbo-bosniaque Divjak, prétendu « numéro 2 », ayant été « arrêté » par des miliciens musulmans en décembre 1992. Aussi n’est-il pas étonnant que cette même armée ait baptisé l’une de ses brigades « Handchar », du nom d’une des divisions SS musulmanes qui s’illustrèrent, 50 ans plus tôt, par leurs atrocités à l’encontre des juifs, des Serbes et des Tziganes »[6]

   54 écoles de Bosnie et Herzégovine excluent encore toute mixité nationale et confessionnelle. Le Conseil de l’Europe et l’OSCE mettent en accusation les autorités bosniaques, qui ne prennent pas les mesures nécessaires pour mettre fin à ces pratiques de ségrégation.  Zija Dizdarevic, journaliste à la revue bosniaque Oslobodenje fit un état des lieu en janvier 2005 dans un article intitulé  « En Bosnie-Herzégovine, l’islamisme radical relève la tête » :

« La défense d’une civilisation islamo-ottomane ne peut être perçue par les Serbes et les Croates que comme un violent message nationaliste et prosélyte. Avec le retour de Latic sur la scène publique, nous assistons à une nouvelle démonstration d’un panislamisme dont le guide idéologique est feu Alija Izetbegovic, de sainte mémoire. La période d’après-guerre a également fait surgir parmi les Bosniaques un wahhabisme agressif, notamment chez les jeunes[…] La Télévision Alfa a récemment été sanctionnée pour avoir publié la déclaration d’un hafiz qui prêchait le militarisme panislamique combiné avec l’antisémitisme. Le magasine Dani a publié un texte sur la vente publique à Sarajevo de cassettes qui célèbrent l’assassinat de représentants d’autres religions avec un cours pratique en supplément. Le nationalisme bosniaque a donc des sources locales et étrangères. Les mosquées sont aujourd’hui des ateliers politiques d’une production idéologique locale et étrangère. Resid Hafizovic, professeur à la Faculté des sciences islamiques affirme pour Dani : « Pour dire la vérité, il suffit d’aller à la prière dans la mosquée du Roi Fahd pour en sortir totalement effrayé ».

   Le mythe d’un modèle bosniaque à suivre, paradigme de la future Europe islamo chrétienne de Villepin, servant à justifier l’entrée de la Turquie, est une forfaiture allant à l’encontre de tous les enseignements de l’histoire contemporaine. En 1961, les Serbes représentaient 43% de la Bosnie-Herzégovine, les Musulmans 26% et les Croates 22%. Aujourd’hui, les chrétiens Croates et Serbes, de par le dynamisme démographique musulman, sont devenus minorité tolérée dans leur propre territoire. En 1991, plus de 50 000 serbes vivaient à Sarajevo, en 2006, ils sont à peine 5000…

Pour Chirac l’opinion publique, donc la démocratie, quand elle n’abonde pas dans son sens est un « mouvement d’humeur un peu léger, une réaction épidermique » confiait-il le 4 octobre 2005 en référence au refus massif des français d’intégrer la Turquie dans l’UE. D’ailleurs ce n’est pas aux français d’aujourd’hui de décider car on ne peut « s’arroger le droit de dire ce que voudront nos enfants et nos petits enfants » en faisant allusion au référendum ayant lieu dans « dix ou quinze ans ». Toujours selon le président il faut faire rentrer la Turquie au prétexte d’un argument pas du tout évident : «  Au nom de quelle tradition humaniste, européenne pourrions nous dire à des gens qui nous disent « nous avons les mêmes valeurs que vous, on ne vous veut pas ». La soumission des femmes, les crimes d’honneurs, la non séparation du politique et du religieux, le refus d’assimilation des turcs vivant déjà en Europe, le non respect des minorités religieuses mettent largement en doute une supposé communion dans les mêmes valeurs. Dernier chiffon rouge du président à court d’argument, le risque de voir la Turquie « basculer dans l’intégrisme » en cas de refus, comme si l’Europe allait s’ériger en obstacle aux confréries islamistes turques qu’elle tolère déjà sur son sol ! Un sondage commandé par l’hebdomadaire Valeurs Actuelles publié le 30 septembre 2005 relève une idée très nette chez la majorité des français : A 60% ils rejettent l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne. Seulement 35% y sont favorable et 5% ne se prononcent pas.

 

 

 

    Chypre: le gouvernement français face à ses contradictions

 

   La reconnaissance de l’Etat de Chypre n’est pas pour la Commission un préalable pour le processus d’adhésion de la Turquie, bafouant ainsi un des «obstacles incontournables » déterminé par le parlement européen en 1987. Désormais, aussi étrange que cela puisse paraître, un Etat candidat peut initier des négociations d’adhésion sans reconnaître la totalité de ses interlocuteurs et de ne pas parler du même sujet, de la même Europe. Cela ne posa aucun problème à Paris qui n’avait pas eu l’outrecuidance de mettre le doigt sur un sujet sensible alors même que la vocation européenne de la Turquie était acquise dans le camp chiraquien. Mais au lendemain du 29 mai, le gouvernement français fit volte face et mit subitement les pieds dans le plat, en réclamant la reconnaissance de Chypre comme préalable alors que des années durant  jamais il n’avait osé soulever le scandale. Un discours de fermeté fut alors mis en place par les chiraquiens. Le ministre des affaires étrangères français, Philippe Douste-Blazy, mardi 30 août 2005 annonce « Il n'est guère envisageable qu'un pays qui demande à entrer dans une communauté refuse de reconnaître l'un de ses membres ». Pourtant, ce cas de figure, Douste-Blazy le laissa s’envisager sans entraves le 3 octobre suivant. Dominique de Villepin, mardi 2 août au micro d'Europe 1, continua les effets d’annonce : «La Turquie vient de dire que sa signature du traité d'union douanière ne vaut pas reconnaissance de Chypre. Le processus de négociation ne peut pas s'ouvrir avec un pays qui ne reconnaîtrait pas chacun des membres » Et pourtant, le processus put s’ouvrir à cause de la même personne qui, en désaccord complet avec son propre discours,  refusa de jouer d’un droit de veto. Quatre jours auparavant, Le Monde par la plume de Daniel Vernet observait pertinemment : « Alors  que l'ouverture des négociations sur l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne (UE) est depuis des mois fixée au 3 octobre, la diplomatie française a feint de s'apercevoir, au milieu de l'été, d'une anomalie : Ankara ne reconnaît pas un des Etats membres de l'UE, en l'occurrence la République de Chypre. Jamais dans l'histoire de l'Europe et de ses candidats à l'adhésion, une telle situation ne s'était produite. »

   Au final la question chypriote fut résolue par l’adoption d’une « déclaration commune » le 4 octobre, monument de verbiage diplomatique, destiné à contenter les deux camps :

«La reconnaissance de tous les Etats membres est une composante nécessaire du processus d'adhésion»

   Ainsi, la reconnaissance de Chypre n’est pas une condition pour le démarrage des négociations, les Turcs négocient pour rentrer dans une UE tronquée d’un de ses membres et la reconnaissance effective de l’Etat devra avoir lieu lors du processus de négociations, c'est-à-dire de minière indéterminée, les négociations pouvant durer plus de dix ans.

   Le veto français ne sera pas brandit, les français sont trahis. Nicolas Sarkozy, en pointe pour ce qui est d’annoncer son refus de l’entrée de la Turquie dans l’UE, n’osa pas non plus réclamer un veto français. Nicolas Sarkozy, pour éviter un durcissement de ses  relations avec les chiraquiens que la réclamation du veto aurait fatalement provoqué se justifia en déclarant « Il n'y a aucune nécessité de dramatiser les choses, d'accentuer le fossé »[7]. En juin, la Commission rejeta formellement l’idée de partenariat privilégié que le président de l’UMP préconisait, en précisant que l’issue des négociations serait une adhésion. Il y a donc de quoi y voir danger, mais pensant que son charisme effacera l’incohérence, Sarkozy annonce que sa divergence de vue avec Jacques Chirac est au contraire une chance : « Je sais qu'on attend des petites phrases. Faisons comme si de rien n'était. Faisons de nos différences des additions et une chance. »[8]

    On est loin des « je le dis comme je le pense, la Turquie n’est pas européenne ». Mais les adhésions à l’UMP explosent, les adhérents perdus dans les méandres des mécanismes décisionnels de l’Union Européenne, se raccrochent à l’impression de fermeté donnée, non aux actions entreprises lors des moments clés.

  En 2006 les négociations se poursuivent tranquillement avec la Turquie sans que les médias ne relatent les rencontres officielles, le sujet s’effaçant derrière les nouvelles préoccupations des français : CPE, grippe aviaire, coupe du monde…Pendant ce temps là, en juin 2006, dans l’indifférence générale, le premier chapitre( sur 35) « science et recherche » fut entériné par les ministres des affaires étrangères, tandis que la Commission donna sa recommandation positive pour l’ouverture du second.

Le rapport Eurling et le grand silence politico-médiatique.

 

    Le rapport Eurling sur les progrès accomplis par la Turquie sur la voix de l’adhésion, réalisé par le rapporteur du même nom pour la Commission des affaires étrangères, fut rendu public le 13 septembre 2006. Ses conclusions sont accablantes en matière de droits de l’homme. Ainsi,  « les progrès accomplis en matière de liberté d'expression restent loin d'être satisfaisants » , plus de quarante éditeurs, journalistes ou syndicalistes sont effectivement poursuivis pour « insulte à l’identité turque » (article 301 du code pénal) à l’instar d’Elif Shafak  faisant revivre la parole des rescapés du génocide arménien. Le rapport souligne également «la nouvelle augmentation du nombre de cas enregistrés de torture et de mauvais traitements par des représentants de l'ordre » . Quant à la condition de la femme,  «  le non-respect des droits des femmes en Turquie continue d'être un sujet de graves préoccupations ». Le rapport dénonce la spoliation des biens mobiliers des églises orthodoxes et catholiques, et   « déplore l'absence de progrès en matière de liberté religieuse depuis son dernier rapport ». Sont également pointés la fermeture des ports chypriotes turcs aux pavillons de la République de chypre, l’embargo persistant asphyxiant l’Arménie et le chaos sécuritaire en zone Kurde. Malheureusement, aucun média télévisé n’évoqua l’existence de ce rapport en France. Au contraire, les bonnes consciences « intellectuelles » à l’instar d’Alexandre Adler prennent la défense de la Turquie et dénoncent les critiques ( rares et précieuses) des observateurs bruxellois. Ainsi, Adler dans le Figaro, au lendemain de la publication du rapport Eurling, ose affirmer « C'est même une démocratie apaisée qui semble partout s'imposer aux adversaires autrefois irréductibles qu'étaient les islamistes modérés de l'AKP et les laïcs kémalistes soutenus par l'armée[9] ». On notera avec quelle naiveté l’emploi du terme « islamistes modérés » est employé. Adler, dans la même tribune parle aussi d’une introuvable « Turquie europhile ».

Aussi, médias, gouvernement et opposition se gardent bien de révéler à quelle hauteur les français financent déjà l’intégration de la Turquie, alors que, paradoxe, la France est au bord du dépôt de bilan. Pourtant, les européens  auraient été ravis de savoir que le Conseil Européen, en mars 2006 approuva un soutient financier de la colonie d’occupation turque de Chypre de l’ordre de 139 millions d’euros, avec la bénédiction de la Commissaire à l’élargissement Olli Rehn. Déjà, depuis le Conseil européen d'Helsinki de 1999, la Turquie bénéficie du statut de candidat et est donc intégrée au programme budgétaire de préadhésion (instrument PHARE). Les crédits d'engagement octroyés par la France furent par exemple de 149 millions d'euros en 2003 et 242 millions d'euros en 2004, montant qu’un rapport du Sénat juge « modeste[10] ». Montant que le gouvernement français s’est soigneusement gardé de communiquer au peuple. 

   En ce qui concerne le délai d’adhésion, le député européen Paul-Marie Couteaux (MPF) qui eut la bonne idée de demander à Mr Rehn la crédibilité des 12 ans escomptés s’est entendu répondre : « ne vous inquiétez pas, cela devrait  prendre guère plus de 5 ans ». Corroborant un propos de l’ancien commissaire Franz Fishler, fin connaisseur de la machinerie Bruxelloise qui faisait remarquer quelques mois plus tôt qu’« après trois ans, le processus de négociations sera irréversible. »

     La légitimité démocratique de Bruxelles est, à l’aune de l’exemple de la gestion du dossier turc, totalement discréditée. Depuis le 29 mai 2005, on sait que beaucoup de français n’ont plus confiance dans les institutions européennes. La Commission comme les chancelleries, s’entêtant à vouloir faire entrer la Turquie, n’ont pas l’air d’avoir saisi le message.Les peuples européens s’en souviendront.



[1] Cumhuriyet,29 juillet 1988

[2] « Résolution sur une solution politique de la question arménienne »Parlement européen, 18 juin 1987.

[3] « poursuivre l’élargissement », rapport de la Commission européenne sur les progrès réalisés par la Bulgarie,la Roumanie et la Turquie sur la voie de l’adhésion, Commission des communautés européennes,Bruxelles,5 novembre 2003.

[4] Dominique de Villepin, Le Monde, 10 décembre 2002.

[5] Alija Izetbegovic, Islamska Deklaracija, Dzumadel-ula, 1990

[6] Alexandre del Valle, Guerres contre l’Europe, Syrtes, 2001, p. 118-119

[7] Nicolas Sarkozy, convention de l’UMP, 24 septembre

[8] ibid

[9]Alexandre Adler,  La Turquie et la Syrie injustement pénalisés, Le Figaro, 14/09/2006

[10]Sénat,  Rapport n° 74, Tome 2, fascicule2, Affaires européennes et article 43 : évaluation de la participation française au budget des communautés européennes. Rapporteur général :Phillipe Marini.

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