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28/03/2007

L'affaire turque : le dossier complet- partie 1

Dossier complet sur la Turquie : historique des relations avec l’UE, processus d’adhésion, question islamique, le rôle souterrain des Etats-Unis, la politique chaotique de la France. Cliquez dessous pour la pemière partie.


 L’affaire turque

« Dire non à la Turquie aurait un coût énorme » José Manuel Barroso, président de la Comission européenne,Université d’été du MEDEF, août 2006.

a) La réislamisation turque

Le parti au pouvoir AKP, islamiste « modéré » ?

   L’AKP serait, pour les partisans de l’adhésion, le pendant des partis démocrates chrétiens européens. Se pencher sur la composition du parti au pouvoir, le passé de ses dirigeants, son programme politique permet de contester un parallèle fallacieux.

Abdurrahman Dilipak, inconnu du grand public européen, est pourtant une des clés de voûte de l’AKP : il fut directeur de campagne du parti lors des élections en 2002. Editorialiste au quotidien islamiste radical Vakit, il est aussi l’auteur d’un succès de librairie dont le titre  se passe de commentaire pour un gouvernement dit  laïque : « Vive la Charia ! ou Vers une société islamique. »

Le premier ministre Tayyip Erdogan milite depuis les années 70 dans des partis islamistes. En décembre 1996, lors de conférences organisée par le Milli Selamet Partisi (MSP), Erdogan déclara qu’un « complot mondial ourdi par les juifs et les sionistes menaçait de prendre le contrôle de la planète »[1]. En juin 1997, lors d’un meeting organisé pour fêter la chute de Constantinople, n’hésita pas à, comme Dieudonné, à comparer les juifs aux nazi sans distinction : « aujourd’hui, l’image des juifs ne diffère plus de celle des nazis. »[2]

Les universités turques sont un des derniers bastions laïques du pays. En 1998  Leyla Sahin, étudiante turque fut contrainte d’ abandonner ses études de médecine à l’université d’Istanbul pour avoir refusé d’ôter le voile. La jeune femme porta plainte auprès de la Cour européenne des droits de l’homme. Le 18 novembre 2005, 17 juges de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) jugèrent que l’interdiction du port du voile islamique (hijab) dans les universités turques ne représentait pas une infraction aux droits de l’Homme, allant ainsi dans le sens de la loi turque. Le 16 novembre, en visite au Danemark, le Premier ministre Erdogan irrité par la position de la CEDH  confiait aux journalistes  :

« Je suis stupéfait de cette décision. La CEDH n’est pas habilitée à s’exprimer sur ce sujet. Ce droit appartient aux oulémas. (...) Il n’est pas approprié que des personnes sans rapport avec ce domaine décident sans en référer aux spécialistes de l’islam. »

Cette position provoqua de grands remous dans la vie politique turque. Si le parti majoritaire (AKP) d’Erdogan a bien évidemment soutenu son chef, les  dirigeants des partis laïques sont montés au créneau pour condamner cette énième dérive de l’ « islamiste modéré ».  Deniz Baykal, président du CHP, parti laïque héritier de Mustapha Kémal attaqua bille en tête :

« Ces paroles n’auraient pas dû sortir de la bouche du Premier ministre de la République turque, laïque et démocratique. Demander l’avis des oulémas ! Quelle idée ! Que devrions-nous encore demander aux oulémas ? S’il est permis de prendre quatre femmes ? Et ce qu'ils pensent des lois sur l’héritage ? Et pourquoi pas des droits de la femme ? Et qui devrions-nous consulter [au juste] ? Les oulémas shiites d’Iran ou les oulémas wahhabites d’Arabie Saoudite ? »

Selon Baïkal, les paroles d’Erdogan prouvent une fois de plus qu’il n’a pas varié de sa filiation islamiste historique : « D’abord, Erdogan disait : « ma référence est ma religion.» Puis il a déclaré qu’il avait changé. Avant cela, il avait dit : « Pour moi, la démocratie n’est pas une fin mais un moyen.[…] » [3]

Le chroniqueur Hassan Cemal du quotidien centriste à grand tirage Milliyet, fit la projection de la suite logique qu’emprunterait la voie de l’islamisation de la politique :

« Selon Erdogan, [le port du] turban est un commandement religieux qui doit être respecté. C’est aussi ce qu’affirment les oulémas… Mais continuons sur cette lancée : qu’arrivera-t-il si demain les oulémas interdisent que les banques prennent des intérêts… ou s'ils interdisent le mariage civil… Et si les oulémas décident qu’il ne peut y avoir d’égalité entre les témoignages des hommes et des femmes, ou les affaires d’héritage, ou le code de la famille… Que ferons-nous alors ? Si nous obéissons aux oulémas, comme dans le cas du turban, qu’adviendra-t-il de l’Etat laïc ? Si les oulémas dirigent l’Etat et la société, qu’arrivera-t-il à notre régime démocratique laïc ?

Et vers quels oulémas se tournera-t-on ? Les oulémas d’Erdogan ou d’autres oulémas ? La Turquie sera-t-elle régie par des fatwas ? »[4]

Le double jeu d’ Erdogan, qui à plusieurs reprises donne des signes forts en direction d’une opinion publique gagnée par l’islam, suscite plus la polémique en Turquie qu’en Europe, où aucun média de masse n’oserait affilier le premier ministre à l’islam radical. Pourtant, ce ne sont pas les indices qui manquent. Information totalement occultée par les médias français, la réception avec les honneurs de l’islamiste taliban Gubuldin Hekmatyar par le Premier ministre fit pourtant couler de l’encre dans les rédactions turques. Une photo publiée dans le journal turc Star du 10 juillet 2003 montrant Recep Erdogan agenouillé devant le chef islamiste provoqua un scandale dans le pays. Sezai Sengun, journaliste de Star parvint à interroger l’intéressé sur la surprenante photo « Quand même, la personne devant laquelle vous avez posé est un individu appartenant aux organisations talibans et à Al-Qaida »[5], Erdogan répondit que Hekmatyar « a combattu héroïquement contre les russes pendant l’occupation ». Puis le journaliste avança un fait auquel l’homme d’Etat courtisé par les chancelleries européennes ne put que maladroitement répondre : « Mr le Premier ministre, mais comment avez-vous pu accepter de classer Hekmatyar parmi les dangereux terroristes dans un document que vous avez signé après avoir été photographié avec ce même terroriste que vous continuez à présenter comme un héro ? »

Réponse affligeante de l’intéressé « Cela peut arriver, l’inverse aussi…»

    Mehmet Aydin, le ministre des affaires religieuses turc lanca un avertissement contre les missionnaires chrétiens prêchant en Turquie le 27 mars 2005. Affirmant que les chrétiens répandaient leur religion en s'appuyant sur l'ignorance des gens, il les a accusa de porter atteinte à la paix sociale et à l'unité de la Turquie :

« Le but de ces activités (religieuses) est de porter atteinte à l'unité culturelle religieuse, nationale et historique du peuple de Turquie[…] Ce ne sont pas seulement des activités religieuses, et elles ne sont pas conduite seulement par des ecclésiastiques chrétiens. Nous avons observé des docteurs, des infirmières, des ingénieurs, des officiels de la Croix Rouge, des défenseurs des droits de l'homme, des pacifistes et des professeurs de langues étrangères conduisant ces activités. »

    Le prosélytisme chrétien est interdit en terre d’islam, le ministre ne fait qu’appliquer la loi islamique. La loi islamique est un objectif à accomplir pour les dirigeants de l’AKP. En automne 2004 , un projet gouvernemental  visait à criminaliser l’adultère, légalement puni en islam. Il s'agissait de punir d'une peine de deux ans d'emprisonnement tout époux coupable d'adultère, les femmes auraient été sûrement les seules visées dans la pratique. Tollé général en Europe, le commissaire Gunther Verheugen téléphona a Erdogan qui s'étonna du malentendu. Ce fut l’armée, gardienne de la laïcité héritée du kémalisme, qui exigea le retrait d’une loi qui aurait gravement pesée sur la décision d’ouverture des négociations par le Conseil européen. Erdogan plia au bout de huit jours, gardant sûrement en tête son envoi en prison pour islamisme en 1997 par les militaires : inculpé pour « incitation à la haine religieuse » conformément à l’article 312 du code pénal, l’actuel Premier ministre avait lu un passage d’un poème de Ziya Gokalp, un des père du nationalisme islamique turc devant une foule enthousiaste lors d’un meeting politique : « Les minarets sont nos baïonnettes, les coupoles nos casques, les mosquées nos casernes et les croyants nos soldats » .

  Le projet de loi sur l’adultère ne fut  pas considéré comme tiré de la charia par l’islamologue Olivier Roy, alors que l’adultère est répréhensible dans toutes les écoles juridiques islamiques, ce qui donne une idée de la compétence des islamologues écoutés par les médias, souvent aveuglément islamophiles[6]. Numéro 2 du parti AKP, Abdullah Gül, ministre des affaires étrangère, n’a pas non plus grand-chose à voir avec l’islam des Arkoun, Zaid, Bensheik et autres vrais modérés. Après avoir enseigné quelques années à l'université de Sakarya, Abdullah Gül est recruté, en 1983, à la Banque islamique du développement (BID) à Djeddah, une banque saoudienne répertoriée par la CIA comme l'une des voies de financement occulte d'Al Qaïda. Pendant huit années (1983-1991), Gül y officiera en tant qu'économiste. En ce qui concerne la considération des femmes en Turquie, le 8 mars 2004 fut réprimée une manifestation pacifique de femmes par une police plus que ferme : les images de coups sur les manifestantes, d’une violence inouïe, firent le tour du monde des médias. Cependant, Abdullah Ghul exprima « comprendre la police », une femme revendicative et bruyante étant une effronterie en islam.

La volonté de faire entrer la Turquie en Europe par les commissaires et chefs d’Etat est d’autant plus inquiétante que la Cour européenne des droits de l’homme, le 31 juillet 2001, émit une décision[7] relative à l’interdiction du parti islamiste refah dont est issu Recep Erdogan, reconnaissant la charia comme incompatible avec le système démocratique européen.

   Lors de l’affaire des caricatures de Mahomet, en février 2006, alors même que le gouvernement danois avait censuré une radio pour islamophobie durant l’été 2005 et que sa responsabilité soit nulle dans la diffusion des caricatures par une presselibre, la Turquie condamna l’attitude du gouvernement. Des députés islamistes de l’AKP s’en prirent violemment aux intérêts danois en Turquie. Vahit Kiler, député AKP, appela le 8 février 2006 tous les musulmans à boycotter les produits danois et norvégiens pour protester contre la publication de caricatures du prophète Mahomet. Il expliqua aux journalistes au parlement les rayons des 110 supermarchés à travers la Turquie de sa chaîne d'alimentation Kiler avaient été vidés des produits de ces deux pays. M. Kiler affirma avoir en outre envoyé par la poste un Coran au Premier ministre danois Anders Fogh Rasmussen. Un autre député de l'AKP, Turhan Cömez, demanda lors d'un discours prononcé le 7 février à l'Assemblée nationale que le ministère de la Santé résilie un contrat avec le groupe pharmaceutique danois Nova Nordisk, qui fournit notamment de l'insuline à la Turquie. M. Cömez, médecin, indiqua que le marché de l'insuline en Turquie  comprenant 300.000 malades était détenu à 60% par cette compagnie danoise, un marché qu'il estima à 50 millions d'euros.

Un islam populaire radical 

   L’existence de ce qu’on appelle les « crimes d’honneur » sont des pratiques fondamentalement musulmanes. L’adultère, les relations sexuelles en dehors du mariage et le viol, sont considérés pour la famille à des pratiques entachant lourdement leur réputations, devant être puni très sévèrement. La charia ordonne effectivement de lapider les femmes adultérines. En ce qui concerne le viol, la honte d’une famille ayant une de ses filles violée est insupportable, le meurtre expiatoire de la victime permet de laver un honneur prétendument bafoué. Une étude universitaire réalisée en Anatolie courant 2005 fait apparaître que 40% des personnes interrogées, essentiellement des hommes, sont favorables aux « crimes d’honneur ». Interrogés sur la punition adéquate envers les femmes adultères, 37% se prononçaient en faveur de leur exécution, 25% par le divorce et 21% pour qu’on leur coupe le nez ou les oreilles. Il n’est pas rares que les femmes restent séquestrées à la maison, pratique connue dans d’autres pays musulmans. Selon une enquête du professeur Aytekin Sir, psychiatre à l’hôpital universitaire de Diyarbakir, les femmes se suicident deux fois plus que les hommes en Anatolie : « On constate un pic impressionnant de suicide entre quinze et vingt-cinq ans, à l’âge des mariages forcés, ainsi qu’un passage à l’acte inhabituel par armes à feu et empoisonnement[8] ». Une avocate de la ville de Diyarbakir confie « Les meurtres d’honneur continuerons tant que la femme sera considérée comme une personne de second rang[9] ». Heureusement, des associations de femmes font bouger les choses et les poursuites pénales à l’encontre des criminels sont de moins en moins rares.

   La Turquie connaît depuis 25 ans une vague de réislamisation sans précédent. 70% des femmes sont dorénavant voilées, plus de 90% de la population pratique le ramadan, les mosquées se construisent à un rythme qui ferait pâlir d’envie le christianisme dépérissant de l’Europe. La vague de réislamisation dont rien indique actuellement le fléchissement,  fut initiée en 1983 par le gouvernement de Turgut Özal. Le dirigeant appuya la l’édification de nouvelles mosquées, soutint l’ouverture de nombreux  imam-hatip (écoles islamiques privées) avec le droit à l’issue des études d’entrer à l’université. Galvanisée par ses mesures, une nouvelle classe urbaine issue de l’exode rurale, jeune et «islamique», commença à se développer comme en témoignent alors le port de plus en plus fréquent du türban (le voile) chez les jeunes femmes, et le succès croissant des publications et des librairies islamiques.

En 1997, après l’éviction du premier ministre islamiste Ncemmit Erbakan par l’armée laïque, le nombre des lycées Imam hatip était passé de 600 à 450, et celui des élèves avait chuté de 600.000 à 500.000. Mais l’arrivée de l’AKP dopa de nouveaux les ouvertures des écoles islamiques. Pour la rentrée scolaire 2003, « L'augmentation des inscriptions est au moins de 60 à 70% », avait expliqué à l'AFP Ibrahim Solmaz, président de l'Association des membres et diplômés d'Imam hatip (Önder). Rien qu’à Istanbul, il existe 24 lycées  Imam hatip.

Inquiétante, la réédition récente de Mein Kempf d’Adolph Hitler, accompagnée d’un lancement commercial impressionnant est un des  best seller de l’année 2005. En juillet 2005, l’ouvrage se hisse à la vingtième place des meilleures ventes selon le classement d’une grande chaîne de librairie. L’envoyé spécial de la revue Valeurs actuelles rapporte une situation inconcevable dans un pays européen « Kavgam, alias Mein Kempf, est en vente partout en Turquie. Dans les boutiques des aéroports, dans les librairies universitaires. Au supermarché. Dans les musés, à côté des ouvrages consacrés à Topkapi et Sainte-Sophie.[…] chose curieuse cette diffusion massive est le fait de plusieurs éditeurs à la fois.Chose plus curieuse encore, l’ouvrage -broché- ne coûte que 5 ou 10 nouvelles livres turques, alors que le prix moyen d’un livre de cette catégorie se situe au dessus de 20 livres [10]». En l’espace d’un an, plus de cents milles exemplaires ont été écoulés. En 1940, sous le président Ismet Inonu, Mein Kampf fut édité pour la première fois. Depuis, l’ouvrage a connu trente rééditions. Dès lors on peut s’interroger de la finesse d’esprit du député juif  Pierre Lellouche lorsqu’il taxe Phillipe de Villiers de « raciste » sur le plateau de l’émission « Riposte » en pointant son refus d’assimiler la Turquie à l’Europe. Confirmant le peu d’estime que portent les Turcs aux Chrétiens, un sondage publié en juin 2006, réalisée par le Pew Research Center de Washington, rapporte que seuls 16 % des personnes interrogées ont « une opinion favorable à l'égard des chrétiens »[11]

Tout aussi inquiétante, la campagne publicitaire d’Etat  visant à séduire la population quant à la perspective d’adhérer à l’UE. Des milliers d’affiches placardées durant l’été 2005 sur les murs d’Istanbul représentaient une femme recouverte non d’un hijab, mais d’une burka  ne laissant transparaître que le contour des yeux, bleue parsemée des étoiles de l’UE. Le drapeau européen transformé en burka, tout un symbole.

Un anti-christianisme d’Etat  

   Les statuts des minorités religieuses en Turquie sont régies par la conférence de Lausanne de 1923, attribuant la reconnaissance du monophysisme arménien et de l’Eglise gréco-orthodoxe. En revanche, l’Eglise catholique non reconnue par le traité ne peut jouir d’un statut juridique lui permettant de se constituer en association afin de récolter des fonds et d’exister officiellement. Dans le cadre des efforts en matière de respect des minorités imposés par le processus d’adhésion à l’UE, l’Eglise catholique a désormais en théorie une reconnaissance officielle, mais dans les faits, l’application des gages de bonnes intentions est loin d’avoir fait son chemin. En 2005, Les autorisations de permis de construire ou de rénovation de lieux de culte sont toujours majoritairement refusées.

   Le Vatican dénonce officiellement la christianophobie d’Etat en Turquie.
L'ambassadeur du Vatican en Turquie, Monseigneur Edmond Farhat s’exprimait en septembre 2005 : « Il existe en Turquie une christianophobie institutionnelle pas très différente de celle qui existe dans d'autres pays musulmans ». En avril 2006, Mgr Emmanuel, Patriarche orthodoxe grec partage la même opinion : « Nous attendons de la Turquie qu’elle respecte les minorités religieuses, ce qui est quasi inexistant actuellement. »

   Abdelfattah Amor rapporteur spécial de l'ONU, fit un rapport  sur la liberté de religion et de conviction qu’il présenta le 25 octobre 2000, à la 55e session de l'Assemblée générale de l'ONU. Les conclusions du rapport, étonnement passées sous silence lors des interminables débats sur la pertinence de l’intégration de la Turquie, sont accablantes. Concernant les lieux de culte dans le sud-est de la Turquie (région de Tour Abdin), des restrictions sont imposées par les autorités pour la rénovation d'églises et de monastères. Depuis 1979, l’ex-premier ministre Bulent Ecevit fit fermer les deux derniers monastères de Tur Abdin, ils sont aujourd’hui toujours fermés alors que les populations chrétiennes environnantes, bien qu’en extinction constante, sont toujours présentes. A. Amor écrit : «Il s'agirait en réalité d'une ingérence des autorités agissant, le plus souvent, sur la base d'un nationalisme exacerbé de rejet des minorités surtout chrétiennes Le rapport souligne le rôle pernicieux de la Direction générale des fondations , qui confisque des lieux de cultes au prétexte fallacieux de non utilisation, pour souvent les transformer en mosquées. 

   A Istanbul, les Syriaques ne bénéficient que d'une seule église, alors que cette ville est devenue leur principal lieu d'émigration. Les demandes formulées par les représentants Syriaques aux autorités, y compris au président de la République et au premier ministre, restent sans effet. Par ailleurs, les Syriaques se trouvent démunis d'institutions sociales, de charité et de santé, car il leur est interdit d'ouvrir leurs propres établissements. En 2005, leurs requêtes n'ont toujours pas abouti.  L’enseignement du syriaque araméen ou soureth, descendant du parlé de Jésus Christ, est interdit dans les écoles ainsi que l’ouverture d’écoles confessionnelles. Les enfants Syriaques eux, sont obligés de subir l’enseignement islamique de rite hanéfite, malgré la laïcité revendiquée. 

Pour le rapporteur spécial l’extinction lente et irrésistible des chrétiens en Turquie est dû largement à l’attitude des autorités qui, comme la population, exercent pressions, vexations et discriminations envers eux, les considérants comme des étrangers, bien que leur présence soit de plusieurs siècles antérieure à l’invasion musulmane sur le territoire :  «  elle se voit refuser, dans de nombreux cas, l'enseignement religieux syriaque, y compris au sein de ses églises et monastères, tandis que des demandes d'exemption des cours de culture religieuse au sein des écoles publiques sont parfois ignorées. Tous ces obstacles et atteintes s'expliquent essentiellement par la politique de turquisation et par la non-reconnaissance de la spécificité religieuse et culturelle de la communauté assyro-chaldéenne. Il convient de leur ajouter l'impact du conflit armé entre autorités turques et mouvements kurdes ayant précipité le départ massif des Assyro-Chaldéens du sud-est de la Turquie, en raison d'un climat et de mesures de terreur (attaques, vols, assassinats, enlèvements, conversions forcées à l'islam, etc).» Et il conclut : «Il est nécessaire également de souligner le rejet de cette communauté par une société et par des autorités locales, en général, intolérantes contre toute minorité ne répondant pas aux messages stéréotypés (être ethniquement turc et de religion musulmane) de la politique de turquisation. Cette situation exacerbée dans l'est de la Turquie connaît des échos à Istanbul, principal lieu d'émigration des Assyro-Chaldéens, où la montée de l'islamisme est également perçue comme une menace. Finalement, les Assyro-Chaldéens se sentent traités comme des étrangers, et quittent progressivement la Turquie dans l'espoir notamment de préserver leur identité culturelle et religieuse.»

Erdogan, malgré les déclarations d’intentions, n’a pas infléchi la tendance. Par exemple, en 2005 fut mis en place une taxe rétroactive de 42% sur l'hôpital Balulki, une institution philanthropique sous la responsabilité du patriarcat oecuménique orthodoxe et qui soigne indifféremment le peu de chrétiens qui restent comme les musulmans. Depuis 2002, le gouvernement islamiste a purement et simplement confisqué 75% des propriétés du Patriarcat œcuménique. D’ailleurs, en 2006, le Patriarcat œcuménique d’Istanbul[12] n’a toujours pas de statut légal. Imaginons un instant que les chancelleries européennes surtaxent les associations cultuelles islamiques, un véritable tollé médiatique et diplomatique dénoncerait les mesures d’exceptions discriminatoires que d’aucuns qualifieraient de « racistes ». Ce qui est impensable en Europe est passé sous silence par une certaine intelligentsia médiatique voulant prendre « rendez-vous » avec l’islam, pensant qu’il suffit d’intégrer des pays musulmans pour conjurer le choc des civilisations.

Le Patriarche oecuménique d’Istanbul, Mgr Bartholomé, lança une campagne de pétition pour la réouverture du prestigieux Institut théologique Halki. Situé sur l’île d’Heybeli, au large des côtes turques, l’Institut Halki, fondé en 1844, est le principal centre de formation théologique du monde orthodoxe grec. Ses portes sont fermées depuis trente-deux ans sur ordre du gouvernement. Les communautés de la minorité chrétienne turque n’ont plus l’autorisation d’assurer la formation supérieure de leur clergé depuis un décret de 1971. L’Institut Halki et l’école de l’Eglise apostolique Arménienne sont fermés depuis cette date. Des rencontres eurent lieu durant l’été 2004 entre le ministre des Affaires étrangères, le  Premier ministre et le patriarche Bartholomé qui suscitèrent un grand intérêt parmi les médias turcs. «Le Premier ministre nous a assuré qu’il considérerait le problème avec bienveillance. Nous espérons que cette déclaration sera suivie d’effets dans un avenir proche» déclara le Patriarche. Espérance déçue, en décembre 2004, le gouvernement refusa de donner suite à la demande légitime du Patriarche voulant former son clergé. En Europe, les « instituts culturels » formants les imams sont légions, mais  la Turquie, qui ne manque une occasion d’accuser l’UE d’être un club chrétien soit disant fermé, n’accorde pas à ses minorités ce qu’elle réclamerait si elle ne l’avait déjà obtenu pour ses citoyens en Europe. En novembre 2005, A Kulp, dans la province de Diyarbakir, une des dernières vieilles églises arméniennes fut rasée pour lancer la mise en chantier d’une mosquée. Comme le note le fin connaisseur des questions islamiques, Bernard Anthony, dirigeant de l’association Chrétienté Solidarité  «En dehors d’Istamboul où, vitrine oblige, elle [la Turquie] doit diplomatiquement tolérer un minimum de survivance chrétienne, elle éradique encore férocement les moindres restes de ce qui fut jadis la première chrétienté au monde. »

    La partie nord de Chypre occupée par la Turquie a connu une épuration religieuse totale. 82 églises étaient présentent sur ce territoire. Aujourd’hui plus une seule ne sert de lieu de culte : 68 ont été transformées en mosquées, 5 en écuries, 4 en musées, 3 en casernes, 2 en habitations. Le 27 août 2004, une bombe explosa devant l’une d’entre elle… Etienne Leroy, chercheur spécialiste de la Turquie, ironise sur la « laïcité » turque : « On peut difficilement être rassuré sur la tolérance d’un « Etat Laïc » qui indique la religion de ses citoyens sur les cartes d’identité, qui refuse les autorisations administratives pour restaurer la plus vieille église de la chrétienté ( à Ourfa, l’ancienne Edesse) et qui, sur le plateau anatolien, se sert des églises arméniennes abandonnées comme cibles pour les exercices d’artillerie. La « laïcité » de la Turquie ne doit tromper personne. »[13]

   En moins de six mois, au premier semestre 2006, quatre tentatives de meurtres de prêtres ont fait deux victimes en Turquie. Déjà le meurtre d’Andrea Santoro en février 2006 avait suscité l’émoi des opinions européennes. En Europe, on chercherait en vain le meurtre d’un seul imam en l’espace de plusieurs decennies. La police turque persiste à nier les motivations islamistes ou nationalistes de leurs auteurs. L’agresseur du prêtre français Pierre Brunissen, poignardé en juillet 2006, fut jugé « schizophrène »… Selon Mgr Ruggero Franceschini, président de la conférence épiscopale turque, les crimes contre les catholiques en Turquie, généralement impunis, sont inspirés par des campagnes de presse délirantes qui accusent le clergé d’acheter les conversions. Ces campagnes offensives contre le prosélitysme chrétien, tiré tout droit de la charia, ne font que relayer les harangues du Diyanet, ministère des affaires religieuses en Turquie.

La Turquie et les « clubs musulmans » 

   Un des grands arguments asséné aussi bien par le premier ministre Erdogan et le ministre des affaires étrangères Gul pour essayer de culpabiliser les européens est la dénonciation du « club chrétien » européen, insinuant une xénophobie latente, un « frileux repli sur soi », ainsi que la favorisation du choc des civilisations.

   L’ argument est doublement provocateur. D’une part l’Europe, contrairement à la Turquie n’émet aucune entrave à la construction de mosquées, aux développement des organisations et confréries religieuses turques, mêmes les plus radicales (Milli Görüs, Suleymanciyya).En Europe réside des millions de Turcs, principalement en Allemagne (2 millions) et en France (400 000), qui jouissent de leurs droits de travailler et de droits sociaux. D’autre part, historiquement incontestablement chrétienne, véritable ciment du continent pendant deux mille ans, l’Europe s’est affirmée comme telle et s’est défendue contre les intrusions guerrières musulmanes, dont la présence passagère Europe ne fut qu’offensive, et à ce titre, illégitime. Conquête de l’Espagne par les extrémistes almoravides au 8 ème siècle, offensives de la « Sublime porte » en Europe orientale avec les sièges mémoriaux de Vienne en 1529 puis 1683. Reprocher à l’Europe de s’affirmer chrétienne revient à l’accuser d’avoir défendu ses terres lors des multiples agressions subies au cours de l’histoire. Absurde.

En réplique à l’argument du « club chrétien », nul chef de gouvernement n’eut l’idée de renvoyer l’accusation à la face de la Turquie, pays des premiers Chrétiens, de Paul de Tarse à l’église d’Ephèse, devenu un club musulman à force d’épuration religieuse. Erdogan est mal placé pour dénoncer les clubs religieusement homogènes. Maire d’Istanbul, les 28 et 29 mai 1996, il organisa une grande réunion inter islamique ayant trois buts : la réalisation d’un marché commun musulman, une sorte d’ONU islamique protégée d’influences judéo occidentales, ainsi qu’un « OTAN musulman ». Le 15 juillet 1997, il élabora avec l’ancien président Erbakan l’idée du D8 association des 8 pays musulmans les plus puissants et dont nombre sont outrageusement  intégristes (Nigeria, Pakistan,Egypte, Iran, Bengladesh, Malaisie et Indonésie).Le projet échouera notamment à cause de l’armée voulant préserver l’accord stratégique israélo-turque , mais n’en fut pas moins une réalité.

   Depuis 2004, la Turquie préside le club musulman de l’OCI, composé de tous les pays islamistes existants. Lors du sommet de décembre 2006 de l’OCI à la Mecque, le président iranien Mahmoud Ahmadinedjad, déclara qu’il ne croyait pas à l’holocauste quelques semaines après avoir évoqué la nécessité de « rayer Israël de la carte ». L’OCI, club de l’islamisme mondial, avait aussi fait scandale lors de son sommet en 2003, lorsque le premier ministre malaisien , Mr Mahathira, dénonça le complot juif mondial. Son discours d’ouverture le 20 octobre 2003, vaut le détour :

« Nous n'appliquons pas les principes authentiques de l'islam, car nous avons mis en place la démocratie qui nous divise et qui a été inventée par les Juifs. Est-ce possible que quelques millions de Juifs aient raison d'un milliard trois cents millions de musulmans ?Appliquons le principe du Prophète : à la Mecque, Mohamed ne peut pas vivre son islam dans un environnement polythéiste. Il émigre à Médine et reconstitue ses forces, puis signe l'accord déséquilibré de Hudaibiyah, trêve de 10 ans avec les Mecquois. Les Mecquois baissent la garde et reprennent leurs affaires. Sans coup férir, de manière unilatérale après deux ans, le Prophète conquiert la Mecque en violation de l'accord, car le Jihad a priorité sur les accords. La solution avec les Juifs et les USA doit suivre ce modèle »

   Voilà un exemple du contenu des sommets de l’OCI, rassemblant 57 pays musulmans. Musulmans ou islamistes, la différence est, à l’aune des positions de l’OCI, insaisissable.

    L’Europe, façonnée indiscutablement par le christianisme, n’a donc pas de leçon d’ouverture à recevoir d’Erdogan. Mais étrangement complexées de ne pas être assez ouverte à l’ «Autre», en l’occurrence l’islam, les chancelleries européennes n’osent renvoyer le premier ministre face à la réalité de son islamisme militant. Erdogan exploite à merveille la psychologie européenne, qui souffre de nombreuses pathologies, parmi lesquelles un complexe de supériorité civilisationel et une obsession du mythe multiculturel, relativisant son identité profonde.

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