06/09/2007
N'ayons pas peur de revenir sur les accords de Schengen
Par Denis Vignolles, haut fonctionnaire, tribune publiée dans le Figaro du 06 septembre 2007
Selon l'ONU, la population mondiale, qui comptait 2,5 milliards d'individus en 1950, puis 6,4 aujourd'hui, atteindra 9,1 milliards en 2050. Les pays en développement contribueront quasi exclusivement à cette explosion démographique. Il y aura environ 5,2 milliards d'Asiatiques (contre 3,8 actuellement) 1,8 milliard d'Africains (851 millions aujourd'hui) et 1,2 milliard d'Américains. Seule l'Europe pourrait connaître un déclin en raison principalement de l'évolution négative des pays de l'Est. Les dirigeants du monde entier devraient s'attacher à apporter des réponses concrètes à cette évolution, sous peine d'assister demain à un immense chaos (...)
La population indienne augmente plus en une semaine que celle de l'Union Européenne en un an. Celles du Burkina, du Niger, de la Somalie, de l'Ouganda ou encore du Yémen devrait quadrupler d'ici à 2050. Comment nourrir de telles populations, qui connaissent déjà la famine aujourd'hui ? Même si l'Inde et la Chine connaissent des taux de croissance exceptionnels, si leurs niveaux de vie moyens s'améliorent, ces deux nations continents ne pourront résoudre seules leur problème démographique. Quand à l'Afrique, elle n'est pas en mesure d'endiguer la misère et l'exode. Dans ces conditions, les États-Unis et l'Europe doivent s'attendre à voir grossir les flux migratoires qu'ils connaissent depuis deux ou trois décennies.
Le cas de l'Europe, et donc de la France, est critique. Confrontés à un chômage endémique, nos pays ne pourront pas longtemps absorber chaque année plusieurs centaines de milliers de migrants, légaux ou illégaux, sans faire imploser, socialement et budgétairement, le système. D'autant qu'avec la délocalisation de son tissu industriel et depuis peu de ses services informatiques et de gestion, l'Europe perd chaque année des centaines de milliers d'emplois. Ce furent d'abord les emplois les moins qualifiés. Ce sont aujourd'hui des métiers à haute technicité qui sont externalisés vers l'Asie ou l'Europe de l'Est. Selon l'OFCE, la France aurait perdu 650 000 emplois délocalisés en vingt ans et la direction de la prévision du ministère des Finances évalue à 800 000 les emplois menacés à court ou moyen terme. Après les grands groupes et les PME les plus importantes, les petites entreprises se lancent dans les délocalisations. Le discours sur la salutaire spécialisation dans l'économie de l'immatériel pour les pays de la « vieille Europe » n'a donc aucun sens.
Avec plus de trois millions de chômeurs réels, la France, pas plus que les autres pays européens, ne peut accueillir ces migrants, dont la majorité n'ont aucune qualification et qui viennent peser sur les politiques salariales et sociales de notre pays. Ces nouveaux demandeurs d'emploi favorisent le développement du dumping social et d'une activité souterraine qui menace l'économie entière. Sans parler du problème récurrent du logement de ces populations. Dans ces conditions, affirmer que les pays européens ont besoin d'une immigration de main-d'oeuvre est un non-sens, car ce sont justement les travailleurs les moins qualifiés qui paient le prix fort des délocalisations et du chômage, et qui sont concurrencés par les migrants légaux ou illégaux.
Affirmer par ailleurs que l'on a besoin de cette immigration pour assurer l'équilibre des régimes de retraite est une autre mystification. Car le coût des politiques sociales d'intégration dépassera de très loin les hypothétiques rentrées de cotisations. Enfin faut-il rappeler que les élargissements successifs de l'Union européenne ont accru considérablement l'arrivée de travailleurs d'Europe de l'Est. Ainsi, plus de 300 000 Polonais ont gagné le Royaume-Uni en dix-huit mois. Cela va s'amplifier avec l'arrivée de Roumains et de Bulgares.
De toute évidence, ces questions relèvent d'une politique européenne commune. Les décisions prises par un État membre ont des répercussions sur l'ensemble des partenaires de l'UE. Lorsqu'en 2005, l'Espagne a régularisé 700 000 étrangers, et l'Italie 635 000 en 2003, c'est l'ensemble des pays de l'Union qui sont désormais susceptibles de les accueillir. Or, aujourd'hui, dans ce domaine, l'Europe est défaillante. Elle n'a aucun pouvoir en matière de gestion des flux migratoires et les besoins démographiques et économiques des pays membres sont très différents. Comment concilier les politiques de pays aussi diversement concernés par ce problème que la France ou l'Espagne d'un côté, et la Pologne ou la Roumanie de l'autre? Nous touchons là aux limites du modèle européen qui privilégie la règle de l'unanimité au détriment de l'intérêt général.
Pour autant, l'Europe reste le levier essentiel d'une politique d'immigration. Entre les discours volontaristes de Nicolas Sarkozy qui n'ont encore aucun effet tangible et l'incompréhensible candeur de la gauche toujours prompte à régulariser des sans-papiers, il est temps d'agir. Le nouveau gouvernement vient certes de proposer des mesures visant à combiner des conditions d'entrée plus restrictives et un énième plan de développement avec l'Afrique. C'est insuffisant. Il faut aller plus loin, revoir totalement les accords de Schengen en les fondant sur un principe de responsabilité et d'interdépendance des pays signataires, alliant une politique rigoureuse d'accueil des migrants, y compris intra-européens, des moyens de surveillance enfin adaptés et une politique de codéveloppement vraiment efficace avec les pays d'origine. Cela passe par une prise de conscience de l'urgence du péril économique et humain qui menace la stabilité de notre société et, le cas échéant, par une remise en question du fonctionnement actuel des institutions européennes.
22:25 Publié dans 25- REFLEXIONS, ANALYSES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ump, ps, modem, mpf, politique, france | | Facebook | |
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